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Chapitre 2 – Alyss remonte la pente

  Une odeur de viande bru?le?e. La saveur qui tombe dans sa bouche, fade et connue. Une musique e?lectrique et diffuse, recouverte par des doubles battements saccade?s. Un son arythmique qui semble se faire grignoter peu a? peu, amplifiant la cacophonie ge?ne?rale. Pas d’image. Seulement un bourdonnement indistinct peuple? de points vermeils. Un mal de te?te. Un cerveau qui tourne au ralenti. Une fre?quence qui augmente, des pulsations qui rendent la tension insupportable. Une chaleur e?touffante. Ses mains qui la guident et saisissent ce qui semble e?tre des fils tendus vers le ciel. Une progression lente au travers de ca?bles et de filins de plus en plus inextricables. Une chose qui se cache, la?, juste derrie?re. Sans se laisser voir ni sentir. Son bras au travers d’un dernier faisceau. Le contact de trop. Le couperet incarnat qui s’abat. Des myriades de carapaces qui de?ferlent le long des ca?bles et se lancent a? l’assaut des corps. Des mandibules qui fouillent les chairs avec avidite? et qui en de?tachent des copeaux carre?s et incandescents. De?sinte?gration. Des lentilles rouges qui clignent en tous sens dans un concert suraigu. L’appel de la mort.

  — Alyss ! Alyss ! Re?veille-toi, bon sang !

  La jeune fille ne se souvenait que de bribes du trajet qui les avait mene?s un peu plus to?t a? la premie?re station du funiculaire. Elle avait suivi son pe?re, telle une automate, jusqu’a? la lisie?re des bas-fonds pendant qu’il lui avait de?bite? a? voix basse mais de?termine?e son sempiternel discours sur l’engagement politique, l’assistance aux familles, la lutte pour la liberte?. Et aussi, e?videmment, sur les mensonges du GCU, le Gouvernement Central d’Utica. Ils avaient aussi mange? les ba?tons de milho, ce qui avait temporairement calme? leur faim.

  — Tu sais, Alyss, c’est important de croire en quelque chose de plus grand que soi. Tiens, maintenant que tu as ce surnom a? la con, la Re?veuse, tu pourrais re?ver utile. Tu devrais penser plus loin, a? l’avenir, au tien, a? celui des autres.

  Alyss, toujours de?connecte?e, suivait son pe?re sans un mot. L’Artificier lui jeta un coup d’?il rapide avant de poursuivre d’un ton las :

  — J’espe?re que tu arriveras a? trouver ta place dans la communaute?, la Re?veuse. Car il n’y a pas d’ailleurs. Il n’y a pas d’Utica. C’est d’ici, de la Zone 3, qu’il faut reba?tir ce putain de monde.

  Alyss suivait, le nez en l’air, le ballet ordonne? et habituel des holodrones du GCU. L’Artificier la regarda, exaspe?re?, avant de continuer en agitant le poing en direction des engins volants :

  — Ce que je crois, moi, c’est qu’Utica, tout c?a, la?, c’est que de la merde en barre et de la poudre aux yeux. Pour qu’on baisse tous la te?te et qu’on continue a? bosser sans moufter, dans l’attente d’un monde meilleur. Pendant que c?a profite a? d’autres. Une fausse liberte? de mouvement qu’on a la?.

  ? Avec les gars, on est persuade?s que c?a n’existe pas, Utica. Un mythe pour les gogos, ni plus ni moins. Nous, ce qu’on va faire, c’est de?monter tout c?a, boulon par boulon, et prouver aux gens qu’on peut se de?brouiller seuls et vivre dignement dans le Ghetto. Il est mort depuis longtemps, l’autre, le cre?ateur, Prote?e. Quel a?ge crois-tu qu’il devrait avoir maintenant ? Deux cents, trois cents ans ? Quand je pense qu’il y a encore des gus pour croire qu’il est immortel ! Et qu’il nous attend quelque part, les bras ouverts, au bout de la terre !

  La jeune fille fut oblige?e de s’arre?ter quand son pe?re lui saisit la main dans sa dextre de me?tal glace?. Alyss aperc?ut alors une lueur de folie dans son ?il :

  — Cette fois, c’est diffe?rent de nos balades habituelles. Tu es presque une adulte, maintenant. Je t’emme?ne assister a? un e?ve?nement tre?s spe?cial. Notre combat passe a? la vitesse supe?rieure, et les hostilite?s commencent ce soir. C?a va pe?ter, parole d’Artificier ! Et c’est la?-haut, derrie?re cette putain d’enceinte, qu’on saura...

  — Papa, je la sens pas cette sortie. Qu’est-ce qu’on va faire tout la?-haut ?

  Alyss l’avait subitement coupe? dans sa logorrhe?e, le regard suppliant.

  Comme souvent, les yeux d’eau de?lave?s de la jeune fille mettaient l’Artificier mal a? l’aise. La discussion prit fin au moment me?me ou? nuages et gens commence?rent a? s’agglutiner dans la chaleur poisseuse. Les uns dans le ciel devenu d’encre, les autres contre la porte be?tonne?e du funiculaire. Le bloc gris contrastait avec le brun jaune du tell. Il portait le nume?ro 12, celui de la plus basse des stations. Ces silhouettes noires et tortueuses venaient se masser, insistantes, devant la grille, de?posant leurs paquets a? leurs pieds. Alyss observait ce mane?ge en silence, recueillant dans sa me?moire les hochements de te?tes, assentiments muets et clins d’?il complices qui e?taient lance?s discre?tement. L’adolescente entendit certains e?voquer les derniers accidents survenus dans la mine. Ces quelques morts ordinaires dont la plupart se fichaient. Elle reconnut quelques personnes dans la foule, dont un relie? aveugle que voyait souvent son pe?re, mais dont elle ne connaissait pas le nom. Le Singe et Casse-Noisette e?taient malheureusement de la partie. Ce dernier avait du? gagner ses galons de lieutenant dans l’apre?s-midi. Deux hommes s’attelaient a? libe?rer la grille de me?tal en s’arc-boutant de toutes leurs forces sur la grille bloque?e par la rouille. Apparemment, ils en avaient l’habitude. Le silence revint alors, seulement perce? par le babil lointain des holodrones et les vibrations des cate?naires du funiculaire en approche.

  Aux stridulations du pantographe sur les ca?bles tendus, l’Artificier tourna la te?te vers la grille. L’antique navette freina sur les rails en pente dans des gerbes d’e?tincelles. Le crissement suraigu fit grimacer l’homme. Mais il crispa plus encore la ma?choire en voyant ce nouveau placard clignotant fixe? au-dessus de la cabine. En plus des holico?nes diffuse?es a? heure fixe, le GCU osait maintenant coller sa propagande de merde jusque sur le seul moyen de transport du Ghetto. On pouvait y voir, dans un bas-relief tremblotant et tournant a? 360 degre?s, des Cycones en uniformes noirs rutilants, la visie?re baisse?e barrant leurs casques de sourires fige?s. Leurs caparac?ons de tixtane et les tubes qui leur sortaient de la te?te les faisaient ressembler a? d’e?normes criquets. Au-dessus de leurs fusils dresse?s, on pouvait lire : ? Au service des autres et pour la se?curite? de tous. Rejoignez-nous. ? L’Artificier manqua se casser une dent. Il n’y avait bien que dans leurs campagnes de recrutement a? la con qu’ils mettaient du pognon. Le clinquant de l’affiche virtuelle contrastait tellement avec la ve?tuste? de la station !

  — Alyss, marmotta l’Artificier en tirant sa fille par la manche, faut que tu t’enregistres avant de monter dans le train.

  Ils se rapproche?rent d’une courte file d’attente, situe?e a? droite de la grille. Les gens les invite?rent a? passer avant eux.

  — A? toi l’honneur, continua l’Artificier. Tu vas maintenant voir a? quoi c?a sert d’e?tre devenue une citoyenne de la Zone 3, la Re?veuse.

  L’adolescente he?sita, regardant l’e?cran poussie?reux, son pe?re, puis a? nouveau l’e?cran.

  — Veuillez approcher votre visage du capteur, demanda une voix en conserve.

  Alyss s’avanc?a avec prudence avant de se laisser gauchement scanner les pupilles, pousse?e en avant par les bourrades autant que par les soupirs exaspe?re?s de son pe?re. Aucun phe?nome?ne autre que le passage au vert de l’indicateur de contro?le ne se produisit. Au grand soulagement de la jeune fille.

  — Bonjour, citoyenne – la – Re? – veuse, reprit le logiciel en hachant son nom. Si vous souhaitez vous enregistrer pour un de?part pour Utica, tapez ? 1 ?. Si vous ne souhaitez pas vous enregistrer, tapez ? 2 ?.

  L’Artificier anticipa la re?ponse flottante de sa fille en e?crasant son poing humain sur le premier choix.

  — En avant, citoyenne !

  Apre?s sa propre inscription, l’homme grimpa sur un tas de parpaings effondre?, ce qui augmenta encore sa stature de colosse. Il contempla les ghettards d’un regard circulaire, tel un ge?ne?ral passant ses troupes en revue. Beaucoup avaient re?pondu a? l’appel. Des hommes, des femmes aussi, des gens de tous a?ges, de toute condition, y compris des raclures des bas-fonds. Ceux-la? e?taient toujours partants pour les coups tordus. Les corporations principales e?taient repre?sente?es. Parmi elles, relie?s et re?pareurs formaient les deux branches les plus respecte?es du Ghetto. Les premiers parce qu’ils fournissaient les informations du Re?seau et nourrissaient les esprits, les seconds parce qu’ils cultivaient les pie?ces de?tache?es et re?paraient les corps. La vraie nourriture, le milho, e?tait quant a? lui de?gueule? dans les pentes par les camions-bennes de la Zone 3. Ceux-la? se faisaient de plus en plus rares, jusqu’a? se tarir comple?tement, levant un grondement de cole?re populaire avec celui des estomacs.

  D’apre?s les informations qui e?taient en sa possession, et l’Artificier conside?rait sa source comme fiable car elle vivait a? proximite? de la Porte 1, au sommet du tell, le nombre de Cycones avait ostensiblement augmente? au cours des trois derniers mois. Les patrouilles e?taient devenues plus fre?quentes dans les secteurs supe?rieurs. En revanche, la milice ne s’aventurait plus en bas des pentes. L’agitation avait gagne? le Ghetto infe?rieur, attisant les trafics, ne laissant de repos a? personne, pas me?me aux morts. La lune pour te?moin.

  Relevant la te?te vers l’astre mort masque? par les nuages, l’Artificier sentit revenir ses interrogations des derniers jours. Que se tramait-il vraiment derrie?re l’enceinte supe?rieure ? D’ou? venaient tous ces Cycones qu’on entassait la?-haut ? N’avait-il pas pre?cipite? sa de?cision quant a? la mobilisation massive du comite? ? Il espe?rait un coup d’e?clat de leur action. Un coup d’E?tat. Inspirant l’air vicie? du soir a? pleins poumons, et comme pour se convaincre lui-me?me, l’Artificier se mit a? haranguer l’assemble?e d’une voix puissante :

  — Citoyens de la Zone 3, vous tous qui e?tes venus ici ce soir, e?coutez-moi ! Je serai bref et direct. Ce n’est pas la? une simple re?union du Comite? de soutien aux familles du Ghetto a? laquelle vous assistez ! C’est plus que cela, et certains ici savent de?ja? de quoi il retourne !

  L’Artificier marqua une courte pause, laissant mourir les murmures d’e?tonnement :

  — Nous sommes assez puissants, de?sormais, pour faire bouger les lignes et obtenir des re?ponses a? nos questions ! Toi, camarade ! Et toi aussi ! Depuis combien de temps attendez-vous de partir vers ce pre?tendu monde meilleur ? Cet Utica promis par ces saloperies d’holico?nes ? Depuis combien de temps n’e?tes-vous pas remonte?s d’un cran dans les maisons des pentes ? Et ces migrants qui atterrissent chez nous ? Ces re?fugie?s qui ne font que ge?ne?raliser la merde de tous : eau pollue?e, maladies, crimes en tous genres ! Et j’en passe ! Croyez-vous que ce putain de Gouvernement, la? ou? il est, en a quelque chose a? foutre ? La nourriture n’arrive me?me plus en bas des pentes ! Ils nous affament ! Certains commencent a? manger les cadavres !

  Les yeux rive?s sur l’orateur, la foule murmura son horreur autant que son assentiment. L’Artificier, le bras tendu vers le haut du tell, dans le ciel devenu violace? sous les premiers e?clairs, poursuivit ainsi son discours :

  — Camarades ! Une situation pire est a? craindre ! Une source proche de la plate-forme m’a informe?, il y a deux jours, que le GCU ne pre?voyait plus aucune e?vacuation vers Utica a? l’avenir ! Plus aucun convoi ne de?collera du sommet de l’aiguille ! Nous allons devoir agir, et vite, si nous voulons contenir le flot des nouveaux arrivants et ame?liorer nos conditions de vie !

  La rumeur grossit, et quelques voix s’e?leve?rent parmi les ghettards. L’Artificier avait me?nage? ses effets. Les premie?res re?actions ne se firent pas attendre :

  — Et qu’est-ce qu’ils comptent faire, au GCU ? Hein ? Et toi, l’Artificier ? Qu’est-ce que tu nous proposes ? Je croyais qu’on devait seulement de?brayer, ce soir ?

  — C’est vrai ce qu’il dit ! On devait juste leur mettre la pression quelques jours en fermant la mine et l’usine ! Pas faire la re?volution !

  — Du calme, s’il vous plai?t, reprit l’Artificier d’un ton plus mesure?. Les nouvelles sont en effet tre?s mauvaises. Il semblerait que le GCU ne veuille pas que la crasse du Ghetto vienne souiller plus longtemps Utica. L’arrive?e massive de Cycones sur la plate-forme est le pre?sage de jours difficiles.

  L’horreur et la terreur se peignirent sur les visages. Les souvenirs, ou, a? de?faut, l’imagination de tous ayant fait leur ?uvre, un mouvement de recul agita la foule. Il fallut que l’Artificier de?ploya?t quelques ressources supple?mentaires pour convaincre les plus inde?cis de le suivre.

  — Vous e?tes des gens fiers, de braves combattants du quotidien ! C’est l’avenir de vos enfants qu’il faut de?sormais de?fendre la?-haut ! Il n’y a pas de honte a? vouloir rester chez vous, au pied de l’enceinte, mais l’histoire ne retiendra que ceux qui, cette nuit, auront fait entendre leur voix ! Les grilles sont grandes ouvertes ! Maintenant, tempe?ra l’Artificier, avanc?ons avec ordre et calme : re?servons notre cole?re pour plus haut.

  Attentifs a? ces paroles gueule?es dans l’e?cho de la porte 12, peu tourne?rent les talons pour repartir en leurs foyers, et la majorite? des rassemble?s suivirent l’Artificier dans un silence poisseux. Comme une validation a? ce discours, le roulement sourd du tonnerre se fit entendre, signe d’un orage qui tardait a? e?clater.

  En le voyant debout sur le be?ton de son estrade improvise?e, projetant son ombre droite et hie?ratique, Alyss comprit qui e?tait son pe?re. Un meneur d’hommes que rien ni personne ne pouvait de?truire. Alyss regarda de?s lors son pe?re avec fierte?, et toute sa frustration d’adolescente la quitta.

  La jeune fille e?tait de?sormais dans ce wagon en route pour la plate-forme d’embarquement. Cette Zone 3 surmonte?e de son aiguille qui narguait le ciel autant que les habitants du tell. Debout dans un coin du train, Alyss tenta de saisir les pense?es de son pe?re en suivant son regard et ses gestes. Elle le vit donner des tapes dans le dos de certains hommes, parler a? voix basse a? d’autres. La tension semblait augmenter a? mesure que le funiculaire prenait de la hauteur. L’itine?raire de ce vieux train e?tait tout entier enveloppe? dans une cage de me?tal et serpentait a? travers la colline. Le vol de me?taux e?tait monnaie courante dans le Ghetto, mais on faisait attention a? deux choses : au funiculaire qui permettait d’aller gagner sa vie a? la mine ou a? l’usine, et aux ca?blages arachne?ens des relie?s, qui se tissaient et se de?tissaient au gre? de leurs besoins. Alice observa, fascine?e, les brumes e?lectriques qui s’e?chappaient des esprits e?chauffe?s. Ces vapeurs ce?re?brales venaient mourir par volutes entie?res sur le plafond de to?le.

  Mais n’e?tait-elle pas la seule a? les percevoir ?

  A? chaque station, le funiculaire s’e?brouait avant de s’immobiliser brutalement, faisant valser les plus distraits. Inlassablement, les portes s’ouvraient et avalaient de nouveaux voyageurs. L’air devenait irrespirable. Seuls les bips des validateurs de biopuces choroi?diennes perturbaient le silence. Les plaques du plancher e?taient de?visse?es pour y planquer du mate?riel. Le monstre de me?tal remontait lentement le tell, marquant a? chaque arre?t le temps d’une clepsydre en marche. Porte 9. Premier point de contro?le. Les Cycones habituellement de garde manquaient a? l’appel.

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  Le Singe ne pouvait que le reconnai?tre : entourlouper le Re?seau, on ne savait comment, pour que l’avalanche de demandes d’inscription ne paraisse pas suspecte, cela relevait carre?ment du divin. En se frayant un passage pour retrouver l’Artificier, en bon vaurien, il en profita pour pincer les fesses de la petite pute. L’adolescente, outrage?e, sursauta et ble?mit de cole?re avant de se recoller de?licieusement a? son paternel.

  Le coquin put commencer a? faire, aupre?s d’un Artificier herme?tique, l’article de sa contribution : de l’e?quipement de premier choix utilisant d’excellents mate?riaux de re?cup’ combine?s par les meilleurs re?pareurs des pentes, et une fine e?quipe de petits de?linquants pre?ts a? en faire beaucoup pour un peu de dope. Au fond de lui, le Singe pensait qu’il se paierait bien ces fameuses bottes me?cas qu’il voyait aux pieds de l’Artificier, et, surtout, que c?a lui faisait mal au cul que sa chouineuse de fille en eu?t une paire pareille ! Il serait toujours temps de les re?cupe?rer quand il aurait creve? le type. Quant aux gars qu’il avait embauche?s, la bonne blague. Un simple e?change de services pour de?dommager les re?pareurs ? Un peu de saccharil pour ses sbires ? Chacun voudrait sa part du ga?teau, qui le contro?le d’une porte, qui la te?te d’une caste. Le Singe, quant a? lui, prendrait la place de l’Artificier : commander a? tous et profiter de longues anne?es de monopole sur l’approvisionnement des pentes. Et se la couler douce. Tout e?tait en place pour que son plan re?ussisse. Et en bonus, il ramasserait la petite pute. Il lanc?a encore a? cette dernie?re un sourire qui se voulait charmant, et gloussa de plaisir quand il la vit s’enfouir dans la cape d’un pe?re de?cide?ment indiffe?rent.

  L’Artificier opina du chef de manie?re distraite aux propos du Singe, faisant mine de ne pas comprendre le double discours du langage des mots et du corps. L’assurance de ce jeune type le faisait parai?tre plus dangereux qu’il ne devait l’e?tre re?ellement. Quel petit con. Si l’Artificier espe?rait que l’autre resterait a? sa place au moins jusqu’a? la fin de l’ope?ration, il songeait se?rieusement a? la manie?re de se de?barrasser de lui. De?finitivement.

  Le compte a? rebours se poursuivit. Porte 8. Porte 7. Porte 6. Nouveau point de contro?le. C’e?tait le terminus re?serve? aux travailleurs, qui permettait d’acce?der a? l’usine et a? la mine de magnite, situe?es au c?ur du tell. Ce soir, aucune e?quipe ne descendit de la rame pour assurer la troisie?me rotation du jour. Pas de bips de sortie ni d’entre?e e?mis par les validateurs. Mais tout a? coup, deux Cycones se pre?sente?rent, et avec eux le souffle glace? du me?tal refroidi. Alyss n’en n’avait jamais vu d’aussi pre?s. Chacun retint sa respiration tandis que les deux miliciens commenc?aient leur inspection, fusil charge?, visie?re baisse?e, quincaillerie de connexion en sustentation derrie?re leur cra?ne. Leurs casques s’allumaient en vert, a? chaque scan valide, alors qu’ils visaient les biopuces individuelles des occupants du train. Mais un claquement de bottes en tixtane interrompit le rituel de contro?le. Un passager se retrouva sous les feux de leur suspicion :

  — Toi! Ouvre ta caisse et vide-la par terre!

  Cette voix synthe?tique interpella Alyss sur ce qui pouvait encore faire de ce Cycone un e?tre humain. Le voyageur s’exe?cuta et de?versa le contenu de sa boi?te a? outils sur le sol. Des e?clats verts s’allume?rent a? mesure que le milicien examinait les objets : gants, pics, lampe rechargeable, instruments divers. Son bino?me tenait en joue les autres voyageurs dans un mouvement circulaire. Personne n’osait bouger et encore moins parler. Alyss commenc?a alors a? sentir ses genoux trembler. La lumie?re resta subitement fixe?e au rouge quand le regard dissimule? du Cycone s’attacha a? un petit boi?tier noir.

  — C’est quoi, c?a?

  L’interpelle? garda la te?te baisse?e, les mains sur le sol. La sueur commenc?a a? goutter de son visage. Le Cycone lui remonta le menton avec le canon de son arme. Le silence e?tait pesant, mais personne n’osait s’interposer. Alyss ne contint plus les grelottements de peur qui la secouaient. Elle s’appuya aussi discre?tement que possible contre la paroi de me?tal pour se soutenir. Le contact soudain de ses paumes sembla transmettre ses tremblements a? la rame, qui s’agita comme une be?te pique?e par un taon. Les soubresauts du wagon surprirent tout le monde, certains en perdirent me?me l’e?quilibre. L’homme a? la caisse a? outils profita des secousses pour saisir le boi?tier noir et le brandir en direction des Cycones. Clic. Les lampes magnec vacille?rent pendant une demi-seconde.

  Un grilleur. Plusieurs relie?s a? proximite? de la sce?ne saisirent leur te?te entre leurs mains en ge?missant de douleur. Les deux miliciens, quant a? eux, tombe?rent lourdement sur le sol, pris de convulsions magne?ciques. Des costauds se pre?cipite?rent alors sur les soldats et arrache?rent, a? l’arrie?re des casques, les ca?bles de l’holoscan et du syste?me de translation des profils personnels. Les membres et te?tes furent e?galement sectionne?s a? l’aide des pics et des marteaux. Alyss, fascine?e, resta a? observer ce spectacle macabre. Les coups porte?s contre les armures semblaient s’e?terniser, repris par leurs e?chos lugubres dans la station de?serte. Ils ne cesse?rent que lorsque les articulations furent comple?tement de?chiquete?es par les outils. Un liquide huileux brun me?le? de rouge avait repeint l’inte?rieur de la rame autant que les visages.

  Le dernier mineur affaire? se redressa, contempla le carnage avec un rictus, puis cracha sur les corps.

  Le cercle s’e?largit autour des e?tres hybrides disloque?s. Ils ne pourraient plus faire de mal. La violence de la riposte des ouvriers avait saisi tout le monde, dans un e?trange me?lange d’euphorie et d’angoisse. Entre l’arrive?e inopine?e des miliciens dans le wagon et le massacre, quelques minutes a? peine s’e?taient e?coule?es. Les hommes le savaient de?sormais : ils e?taient capables de tuer du Cycone. Jusqu’a? les tuer tous. Un par un. Me?me s’ils devaient y laisser leur peau. Mais par superstition, personne ne souleva les visie?res pour voir quelles monstruosite?s composites se cachaient derrie?re.

  Dehors, les e?quipes a? relever sortaient du c?ur laborieux du tell et accouraient vers la bouche du funiculaire. Les nouveaux arrive?s se joignirent alors aux ouvriers qui e?vacuaient a? coups de pied les deux de?pouilles hors du wagon. Ils durent se mettre a? plusieurs pour soulever les centaines de kilos de tixtane et planquer les corps dans un recoin de l’usine. Il serait toujours temps de les recycler plus tard.

  Le funiculaire e?tait reste? plus longtemps que de coutume a? l’arre?t, et les clignoteurs rouges en haut des portes commenc?aient a? signifier leur impatience a? repartir. Une fois le dernier ouvrier a? bord, quelqu’un abaissa une manette. Les portes se referme?rent et la rame rede?marra dans le brouhaha ge?ne?ral. La voix exce?de?e de l’Artificier s’e?leva au-dessus de l’agitation :

  — Silence !

  Le calme revint apre?s quelques secondes. L’Artificier s’adressa, a? peine plus calme, aux gars des e?quipes du deuxie?me tiers :

  — Qu’est-ce que vous foutiez, bordel !? Vous e?tes en retard ! On a du? se taper des putains de Cycones !

  Un des usinards de?glutit avant de lui re?pondre :

  — Les portes d’acce?s au quai e?taient bloque?es, nos biopuces n’ont pas marche?. C’est quand y a eu la microcoupure de magnec qu’on a pu sortir.

  L’Artificier s’attrapa la te?te a? deux mains :

  — Coupe-sifflet a du? se servir de son grilleur, merde ! Maintenant, on va perdre un temps fou a? tout re?tablir !

  — T’inquie?te, re?pondit le court-circuiteur, j’avais re?gle? sur courte porte?e. C?a re?duit les de?ga?ts. Et pour la rame, les me?cafards vont se coltiner le boulot tout seuls.

  Agace?, l’Artificier pointa du doigt un vieux relie? qu’Alyss connaissait de vue :

  — Promeneur, dis-moi pourquoi y avait encore des putains de Cycones au point 6 ? C’e?tait ton boulot de les de?tourner de notre trajet ! Qu’est-ce qui s’est passe?, bordel ?

  L’inte?resse? re?pondit d’un ton presque de?sabuse? :

  — Je ne sais pas, moi, juste que c’est pas normal.

  — ? Pas normal ? ? Tu veux notre peau, ou quoi ? Je croyais que t’e?tais le meilleur pour ce job !

  — Attends un peu que je te re?ponde, avant de gueuler. Je suis encore e?tourdi, apre?s ce qu’il nous a fait, l’autre, avec son grilleur. C’e?tait pas pre?vu au programme, c?a non plus.

  Parce qu’il e?tait a?ge?, parce qu’il e?tait un relie?, et parce que c’e?tait un ami de longue date, l’Artificier ne re?pliqua rien a? l’ancien. Le Promeneur haussa simplement les e?paules et se dirigea vers les boi?tiers de contro?le situe?s pre?s des portes. Le vieillard e?tait aveugle, mais sa grande habitude du train, et plus encore sa perception du Re?seau en toute chose, le dispensaient de la vue. Il flottait ainsi entre deux univers, son corps pris dans le monde physique des ca?bles tandis que son esprit vagabondait librement au milieu des donne?es. Le Promeneur tira l’un des fils jaunes qui sortaient de l’arrie?re de son cra?ne et se brancha au transformateur du wagon.

  — Je capte rien pour le moment. On va devoir attendre d’arriver plus haut, au point 3, pour que j’entende mieux le me?tal.

  Chacun retint sa respiration pendant les longues minutes qui les se?paraient encore de la troisie?me porte, ne voulant en aucun cas troubler l’e?coute du ve?ne?rable.

  Porte 5. Porte 4. A? chaque nouvelle station des gens de tous poils s’entassaient plus encore dans la rame. Alyss ne manquait pas de les scruter avec avidite?. Depuis la sixie?me porte, outre les silhouettes un peu plus grasses et les mines moins ha?ves que celles qu’on trouvait habituellement en bas du tell, ce qui frappait le plus la jeune fille e?tait la richesse des ve?tements et des e?quipements qu’arboraient les gens du haut. Un savant me?lange de textechs rapie?ce?s, recouvert de gadgets a? l’usage inconnu. En somme, des combis de transfert telles qu’Alyss les avait vues dans les holico?nes de propagande, mais qui e?taient au moins de troisie?me main. Le tout outrageusement agre?mente? de colifichets dernier cri. Tout ce petit monde paradait dans la rame, faisant e?talage visuel et sonore de sa quincaillerie sous les regards envieux des mineurs des niveaux infe?rieurs. Ces derniers n’avaient, pour s’habiller, que le rebut des fripes qu’on voulait bien leur donner. Alyss regarda ses propres ve?tements avec de?gou?t. De ce que savait l’adolescente, ceux des pentes supe?rieures ne mettaient pas souvent les mains dans le cambouis et travaillaient comme cadres dans l’usine. Pas mal de relie?s e?taient parmi eux. Malgre? la tension, le silence restait d’or, seulement e?maille? des tintements et cliquetis qui accompagnaient chacun des gestes des camarades du haut. Les relie?s passaient ne?gligemment leurs mains dans leurs e?normes crinie?res ca?ble?es, ces dernie?res augmentant en volume avec la de?gression des niveaux. Ses observations termine?es, Alyss leva la te?te vers son pe?re d’un air interrogateur : elle se demandait comment il avait bien pu re?ussir a? re?unir dans le me?me train autant de cre?ve-la-dalle que de pre?cieux. Mais que pouvaient bien revendiquer les gens du haut alors qu’ils semblaient tout avoir ?

  Utica.

  — Eux aussi pensent qu’ils ne pourront jamais partir pour

  L’Artificier regardait sa fille droit dans les yeux.

  Niveau 3. Les portes de la rame se referme?rent derrie?re les nouveaux voyageurs. Le Promeneur leva le bras. Les derniers bips de validation des biopuces se turent. Une chape de plomb s’abattit. Tous e?taient suspendus aux gestes de l’ance?tre. Ils le virent enfoncer plusieurs de ses ca?bles dans le transformateur et e?couter l’acier. Quelques secondes passe?rent. Interminables.

  Le Promeneur fit basculer un commutateur cache? dans son oreille. Il abaissa et remonta les taquets de son e?galiseur avant de trouver la bonne fre?quence. A? 6,3 kilohertz, il bascula dans le Re?seau. La musique des ca?bles. Celle qu’il pre?fe?rait. Son moyen de transport attitre? pour se balader a? son aise a? travers les longueurs d’onde. C’e?tait la? ce qui faisait son talent. L’homme sauta de fil nu en corde gaine?e, de gradateur en variateur de charge. Sa table de mixage corticale l’amena a? percevoir la pre?sence des me?cafards. Ils s’attelaient a? la re?paration des derniers dommages du court-circuitage. De bons petits soldats. Rassure?, le Promeneur s’attaqua au logiciel. Il poussa a? 12,5 kilohertz. Les palpitations magne?ciques s’acce?le?re?rent. Le vieil homme cala les pulsations de son cerveau sur cette nouvelle fre?quence. Les stridulations des entomobots de contro?le se mue?rent en vrombissements incertains. Quelque chose clochait sur le Re?seau. Le Promeneur poussa plus loin son exploration des bandes passantes ultras. Mais son oreille interne de?rapa. Et la symphonie se fit subitement requiem. Puis larsen.

  Les globes d’acier du Promeneur se mirent a? rouler en tous sens. L’aveugle ge?mit, tomba, puis se tordit de douleur, les mains plaque?es contre les oreilles. L’Artificier cria alors :

  — De l’aide ! Il est en train de se faire griller, ce con !

  Un relie? le?onin s’affaira aussito?t devant le boi?tier magnec et entreprit de de?brancher le Promeneur.

  — Le truc de dingue ! Les branchements qu’il nous a faits, le vieux ! Faut carre?ment un de?mineur pour virer les ca?bles dans l’ordre !

  — De?pe?che, aboya l’Artificier, ou on va le perdre ! Et vous, de?gagez ! De l’air, bordel !

  Le relie? retira le dernier fil, mais le Promeneur convulsait encore. De la mousse rougea?tre s’e?coula de sa bouche et se re?pandit sur le sol dans une odeur acide. Le vieux se redressa dans un dernier hoquet, ses yeux vides tourne?s vers Alyss, et hurla :

  — Des insectes ! Y a des insectes partout !

  A? ces mots, Alyss prit la main du vieux pour essayer de le calmer. Mais a? son contact, la jeune fille bascula dans l’univers paralle?le de l’ancien et prit de plein fouet l’assaut de sa de?tresse.

  Des insectes. Partout !

  — Alyss, Alyss, re?veille-toi, bon sang !

  Ses yeux se re?vulse?rent sous le coup des horreurs ressenties. Sans parler de la gifle que son pe?re venait de lui donner. Une sueur froide couvrait la peau de l’adolescente, la faisant frissonner. Elle s’aperc?ut qu’elle se trouvait affale?e dans l’angle me?tallique d’un wagon en mouvement.

  La jeune fille leva la te?te. Un vieillard aux yeux mornes faits d’acier gisait mort a? co?te? d’elle, une bave rougea?tre aux le?vres. La moiteur qui re?gnait dans la rame e?tait insupportable. Plusieurs dizaines de personnes, des hommes, surtout, me?laient ici leurs odeurs fatigue?es de fin de journe?e dans le caisson en me?tal. La plupart e?taient reste?s indiffe?rents au sort d’Alyss et regardaient pluto?t le corps du Promeneur. Mais si les superstitieux s’e?taient de?tourne?s et invoquaient une divinite? quelconque, certains jetaient a? l’adolescente des regards assassins.

  Alyss osa lever les yeux vers son pe?re. Sur sa mine incre?dule re?gnait un me?lange de stupeur et de crainte. Un ronronnement discret l’attira. Elle n’eut que le temps d’apercevoir l’arrie?re rutilant d’un me?cafard de contro?le qui disparaissait entre les to?les disjointes du plancher. Depuis qu’elle avait ses biopuces visse?es dans la te?te, c’e?tait pire qu’avant. Il lui semblait que tout ce qu’elle pensait voir arrivait. Sous une forme ou une autre.

  — Faudra que tu nous expliques, l’Artificier, comment ta gosse a failli se faire griller alors qu’elle n’e?tait pas relie?e... En tout cas, le Promeneur, lui, l’a pas eu la chance d’en re?chapper.

  L’Artificier ne sut quoi re?pondre. Il perdait le contro?le de la situation. Il commenc?ait a? voir des regards en coin et des dos qui se tournaient sur des chuchotements contestataires. C’e?tait vrai qu’elle e?tait spe?ciale, quand me?me, sa mo?me, avec ses crises a? la con. C’e?tait une gentille gosse. Elle faisait ce qu’elle pouvait avec ce qu’elle avait, dans un Ghetto pluto?t hostile a? ceux qui ne rentraient pas dans le moule.

  — Foutez-lui la paix, bordel ! La mo?me n’a rien a? voir avec tout c?a !

  Alyss n’en menait pas large. Recroqueville?e dans son angle, elle parait les regards les plus hostiles avec sa capuche. La jeune fille se demandait encore si ce qu’elle venait de voir a? travers le vieux e?tait vrai. Elle surprit un e?clair de cole?re et de chagrin dans les yeux de son pe?re, qui e?tait toujours agenouille? entre elle et le Promeneur. Il venait de perdre un ami, un allie?, un protecteur. Il avait aussi failli perdre sa fille. Mais s’en rendait-il compte ? L’Artificier se redressa subitement et coupa court aux pole?miques. Il reprit son uniforme de meneur en gueulant par-dessus la me?le?e. Il claquait des ordres secs, demandant aux re?pareurs de s’occuper du mort dignement, de re?cupe?rer ce qu’ils pouvaient, comme il e?tait d’usage dans le Ghetto, mais de ne pas toucher a? la chair. Il confia enfin aux relie?s de faire rede?marrer le funiculaire, qui avait cale? avec le grillage du vieux.

  Le restant des manifestants se tenait tasse? dans le fond du wagon : devant le risque de surcharge de la rame, les ouvriers venaient d’entreprendre la de?coupe des barres de se?curite? pour alle?ger la structure. Le magnec revint, et, dans le me?me temps, les portes late?rales s’ouvrirent sur le vide, laissant entrevoir la paroi rugueuse de la colline a? travers la cage d’acier qui prote?geait le train. L’air frais qui s’engouffra fit du bien a? tous.

  Un de?bat s’e?leva alors parmi les relie?s. Le Re?seau leur e?tait apparemment devenu hostile, et ils durent tirer a? ca?ble-court pour savoir qui se collerait a? l’ultime re?paration. Apre?s quelques secondes de tergiversations sous les hue?es de leurs compagnons d’infortune, ils de?cide?rent de se brancher en de?rivation au tableau de la rame. Mis a? trois en paralle?le, ils atte?nueraient ainsi le flux magne?cique et nerveux. A? peine une cha?taigne corticale, avant de poursuivre leur chemin de?mate?rialise? a? travers le Re?seau. Un pourvoyeur fournit les outils qui servirent a? effectuer quelques re?glages avant le branchement cra?nien. Les yeux des volontaires vire?rent soudain au blanc laiteux, mais ils tinrent bon. Les portes se referme?rent. Le funiculaire rede?marra une trentaine de minutes apre?s l’incident, faisant revenir tout le monde au calme. Le colimac?on du parcours se resserra, cre?ant un de?vers prononce? dans la rame. Quelques me?tres avant la porte 2, la paroi limoneuse se transforma en une surface lisse et luisante : du me?tal boulonne? a? la terre.

  Puis tout devint rouge.

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