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Un silence qui brise

  Les semaines s’écoulaient à l’école Impériale de Mor, un lent défilé de jours gris et monotones qui pesaient sur les épaules de Mero comme une voile alourdie par la pluie. Il avait repris une semblance de concentration après l’oubli de l’anniversaire de Mandarine, mais une tension sourde vibrait encore en lui, une attente qu’il ne pouvait nommer. Puis, un matin, alors que le ciel s’éclaircissait timidement au-dessus des toits de la capitale, un serviteur frappa à sa porte, une lettre entre les mains. Le sceau rouge, marqué d’un bateau stylisé, brillait comme une flamme dans la lumière pale – c’était celui de Mandarine. Son c?ur bondit, un mélange d’espoir et d’appréhension le saisissant alors qu’il brisait la cire avec des doigts tremblants.

  Il déplia le parchemin, et les mots, écrits d’une main nette mais dépourvue de chaleur, le frappèrent comme un coup de poignard : ? J’ai re?u ton paquet. ? Rien de plus. Pas de ? cher Mero ?, pas de tendresse dans les courbes de son écriture, pas de baiser au rouge à lèvres – ce sceau écarlate qu’elle laissait toujours sur ses lettres comme une marque d’amour. Rien. Juste cette phrase, froide, tranchante, un écho vide dans le silence de sa chambre. Il la relut, encore et encore, cherchant un sens caché, une nuance qu’il aurait manquée, mais chaque lecture enfon?ait le poignard plus profondément. Elle était fachée. Comment avait-il pu oublier ?

  Mero s’effondra sur sa chaise, le parchemin froissé dans sa main, le regard perdu dans le vide. La douleur était vive, presque physique, une lame glacée qui s’enfon?ait dans sa poitrine et tournait sans relache. Il avait trahi Mandarine – pas par intention, mais par négligence, une faute qu’il ne pouvait excuser. L’absence de chaleur dans ces mots le terrifiait, un ab?me s’ouvrant sous ses pieds alors qu’il imaginait ce qu’elle ressentait, là-bas, sur son ?le lointaine. était-elle dé?ue ? Furieuse ? Blessée au point de ne plus vouloir de lui ? Il ferma les yeux, son souffle court, et son esprit s’emballa, peignant des scènes qu’il ne pouvait supporter.

  Il vit Mandarine dans sa tête, debout sur une falaise battue par les vents, ses cheveux noirs fouettés par la tempête, son regard fixé sur l’horizon où aucun navire n’apparaissait. Elle tenait peut-être son paquet – ce bracelet d’argent et de perle noire qu’il avait envoyé dans la panique – et le laissait tomber dans les vagues écumantes, un geste de rejet silencieux. Peut-être avait-elle attendu des jours, des semaines, un signe de lui pour son anniversaire, un mot, une promesse, quelque chose qui lui prouverait qu’il pensait à elle autant qu’elle à lui. Et rien n’était venu. Il imagina ses yeux verts, si souvent rieurs, s’emplissant de larmes amères, sa voix tremblante murmurant : ? Il m’a oubliée. ? Elle, qui avait traversé les mers pour lui, qui avait défié son père et son monde pour leur amour, avait peut-être cru, en cet instant, qu’il ne l’aimait pas autant qu’il le prétendait.

  Ou pire encore – peut-être ne pleurait-elle pas. Peut-être était-elle assise dans une taverne sombre de l’?le, entourée de ses pirates, riant avec une froideur qu’il ne lui connaissait pas, le bracelet jeté sur une table comme une babiole sans valeur. ? Un prince impérial, ? aurait-elle dit à ses compagnons, un sourire amer aux lèvres, ? trop occupé pour se souvenir de moi. ? Il l’imagina levant une chope de rhum, trinquant à son oubli, ses mots tranchants comme des lames : ? Qu’il garde ses cadeaux – je n’en veux pas. ? Cette Mandarine-là, dure et distante, le terrifiait plus encore que la Mandarine blessée, car elle signifiait qu’il avait perdu non seulement son amour, mais son respect.

  Chaque scénario qu’il inventait était une torture, un miroir cruel reflétant son échec. Il voyait son visage, si vivant dans ses souvenirs, s’effacer peu à peu, remplacé par une étrangère qu’il avait dé?ue. Avait-elle ouvert le paquet avec espoir, cherchant une lettre qui expliquerait son silence, pour ne trouver qu’un bijou froid, sans ame ? Avait-elle attendu près de la poste des pirates, scrutant chaque bateau, espérant un messager qui ne viendrait jamais ? Il imaginait ses mains serrant le parchemin, ses doigts crispés de frustration, ses pensées tourbillonnant comme les tempêtes qu’elle aimait défier : ? Il savait, et il a choisi de m’ignorer. ? Cette idée le brisait – Mandarine, si fière, si forte, réduite à douter de lui, à douter d’eux.

  Il se leva, arpentant sa chambre comme un animal en cage, le parchemin abandonné sur le bureau comme une sentence. Comment avait-il pu être si aveugle ? Son anniversaire n’était pas qu’une date – c’était un symbole, une preuve qu’il tenait à elle malgré la distance, malgré les devoirs qui l’accablaient. Et il avait échoué. Il avait envoyé ce paquet dans l’urgence, un geste désespéré pour rattraper son oubli, mais maintenant, il voyait clair : ce n’était pas assez. Ce bracelet, aussi précieux soit-il, n’était qu’un objet – il ne portait pas son c?ur, pas ses mots, pas l’amour qu’elle méritait. Elle avait d? le regarder, seule, et y voir un aveu de négligence, une excuse vide là où elle attendait une promesse.

  Le poids du regret l’écrasa, une vague sombre qui le submergea sans pitié. Il se laissa tomber contre le mur, glissant jusqu’au sol, les mains crispées sur ses cheveux. Comment avait-il pu oublier ? Mandarine, avec son rire sauvage et ses yeux qui voyaient à travers lui, était tout pour lui – son ancre, son feu, son horizon. Et il l’avait laissée seule, abandonnée dans un moment où elle avait besoin de lui. Ses pensées tournaient en spirale, une litanie de reproches qu’il s’adressait sans fin. Il avait été trop absorbé par ses études, ses projets, ses ambitions – trop centré sur lui-même pour se souvenir d’elle. était-ce cela, l’amour ? Un oubli qui brisait tout ce qu’il avait juré de protéger ?

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  Il se morfondait, les heures s’étirant comme des jours dans la solitude de sa chambre. Le silence de la lettre était une tempête à lui tout seul, plus assourdissant que les vagues qu’il avait affrontées avec elle. Il imaginait ses nuits sur l’?le, seule dans sa cabine, relisant peut-être ses anciennes lettres – celles où il promettait de ne jamais l’oublier – et les comparant à ce message sec, impersonnel. était-elle en train de douter de lui, de leur avenir ? Le voyait-elle comme un prince arrogant, trop occupé par ses devoirs pour tenir ses engagements ? Ou pire, avait-elle déjà décidé qu’il ne valait plus son amour, qu’il n’était qu’un souvenir à laisser derrière elle, comme un bateau échoué sur une plage abandonnée ?

  Chaque pensée était un coup, chaque silence un reproche. Il voyait son visage dans l’obscurité – ses lèvres qui ne souriaient plus, ses yeux qui ne cherchaient plus les siens – et cela le déchirait. Il avait envoyé ce paquet avec tant d’espoir, croyant qu’il pourrait effacer son erreur, mais maintenant, il comprenait : ce n’était pas une réparation, c’était une insulte. Un bijou sans mots, sans c?ur, sans lui. Elle méritait mieux – des lettres enflammées, des promesses murmurées au vent, un amour qui traversait les mers pour elle. Et il avait failli. Comment avait-il pu être aussi stupide, aussi égo?ste ? Il se maudit, les poings serrés contre ses tempes, sa respiration hachée par une culpabilité qui le consumait.

  Les jours passèrent, lourds et interminables, et Mero sombra dans une torpeur qu’il ne pouvait secouer. Sven et Dorian, ses amis fidèles, tentèrent de le tirer de cet ab?me. Sven, avec son pragmatisme habituel, s’assit un soir près de lui dans la salle commune, une chope de thé fumant entre les mains. ? La vie est faite d’erreurs, Mero, dit-il, sa voix grave cherchant à percer le brouillard. Tu as oublié, oui, mais ce n’est pas irréparable. Elle te conna?t – elle sait qui tu es. ? Il parlait de ses propres fautes, des fois où il avait trébuché dans ses devoirs familiaux, mais ses mots glissaient sur Mero comme une pluie sur une vitre – ils ne l’atteignaient pas. Ces erreurs semblaient si triviales face à l’énormité de son échec.

  Dorian, plus doux, essaya une autre approche, s’appuyant contre la table avec un sourire triste. ? J’ai déjà oublié des choses importantes, tu sais – une promesse à ma s?ur, un anniversaire. ?a fait mal, mais on pardonne, avec le temps. Tu dois te pardonner d’abord. ? Il parlait avec c?ur, cherchant à le réconforter, mais Mero ne pouvait s’empêcher de comparer. Leurs fautes étaient des ombres légères ; la sienne était une tempête qui avait tout balayé. Il appréciait leur soutien, leurs efforts sincères, mais le poids de la lettre restait trop lourd, une ancre qui le tirait vers le fond. Ils finirent par s’éloigner, respectant son silence, espérant que le temps apaiserait ce qu’ils ne pouvaient guérir.

  Il se morfondait, seul avec ses pensées, chaque jour plus long que le précédent. Le silence de Mandarine était une prison, un vide qu’il remplissait de doutes et de peurs. Avait-il encore une chance de réparer cela ? Ou ce retard, ce vide entre eux, marquerait-il le début d’un éloignement qu’il ne pouvait imaginer ? Il voyait leur avenir s’effriter devant lui – les promesses murmurées sous les étoiles, les rêves d’un jour les réunir – tout cela réduit en cendres par son oubli. Il se sentait impuissant, un prince perdu dans un royaume qu’il ne contr?lait plus, et la douleur était une compagne constante, un spectre qu’il ne pouvait chasser.

  Un mois passa, une éternité de tourments et d’attente, jusqu’à ce qu’un matin, une nouvelle lettre arrive. Le sceau rouge, familier, fit battre son c?ur si fort qu’il crut qu’il allait éclater. Il l’ouvrit avec des mains fébriles, et les mots, simples mais puissants, le frappèrent comme un éclair dans la nuit : ? Je t’aime quand même. ? Pas de baiser au rouge à lèvres, pas de longues déclarations, mais ces quatre mots, écrits de sa main, étaient une bouée dans l’océan de sa détresse.

  Mero sentit une vague de soulagement l’envahir, un tremblement le parcourant alors que des larmes, qu’il ne put retenir, roulèrent sur ses joues. Elle n’était pas fachée – ou du moins, pas assez pour le rejeter. Ces mots, dépouillés mais sincères, brisèrent la prison de son esprit, laissant entrer une lumière qu’il avait crue éteinte. Il relut la lettre, encore et encore, chaque syllabe une caresse, une rédemption qu’il ne méritait pas mais qu’elle lui offrait. Pas de reproches, pas de colère – juste un amour brut, inébranlable, qui traversait les mers pour lui.

  Il se leva, le parchemin serré contre son c?ur, et s’approcha de la fenêtre. Le ciel était clair, un bleu éclatant qui semblait refléter la paix qui naissait en lui. Elle l’aimait quand même. Malgré son oubli, malgré le silence, elle l’aimait encore. La culpabilité ne disparut pas entièrement – elle restait là, une cicatrice qu’il porterait longtemps – mais elle s’adoucit, éclipsée par cet espoir retrouvé. Il imagina Mandarine écrivant ces mots, peut-être après des jours de réflexion, un sourire léger sur les lèvres, choisissant de lui tendre la main plut?t que de le repousser. Cette image le réchauffa, effa?ant les visions sombres qui l’avaient hanté.

  Sa vie dans sa petite bulle pouvait recommencer. Les cours, les projets, les rires avec Sven et Dorian – tout cela reprenait sens, porté par la certitude qu’elle était toujours là, de l’autre c?té de la mer. Il s’assit à son bureau, une plume à la main, et commen?a une réponse – pas une excuse, pas une justification, mais une lettre sincère, débordante de tout ce qu’il n’avait pas su lui dire avant. ? Mandarine, ma lumière, ? écrivit-il, les mots coulant comme une vague libérée, ? je ne te laisserai plus jamais douter de moi. ?

  Le poids s’était allégé, et avec lui, une promesse naquit – celle de ne plus jamais faillir, de chérir chaque instant qu’elle lui offrait. Il plia la lettre, la scella d’un sceau de cire, et murmura dans le silence : ? Je t’aime aussi. ? Le monde pouvait tourner à nouveau – elle était toujours là, et cela suffisait.

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